Abattoirs de Chicago, le monde humain I dans le Matricules des anges par Anthony Dufraisse
Dans le numéro 218 de novembre 2020, sur la réédition en poche de Abattoirs de Chicago

Dans le numéro 218 de novembre 2020, sur la réédition en poche de Abattoirs de Chicago
Libraires envolés – Bangkok Damas, Anne & Laurent Champs-Massart, illustrations de Véronique Aurégan-Poulain, La Bibliothèque, 2020
Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. Nicolas Bouvier introduit ainsi son Usage du monde et Anne & Laurent Champs-Massart ont voyagé sous ce soleil-là. Entre 2005 et 2018, les deux jeunes amants ont parcouru le monde. Partis avec des livres qu’ils espéraient vendre dans une librairie francophone qu’ils auraient ouverte dans le quartier des ferrailleurs à Bangkok, ils renoncent, et le voyage s’impose. Libraires envolés compte onze récits rapportés d’Asie. À l’ouvrage manque un bandeau portant mention Bouvier aurait adoré.
Le voyage débute à Bangkok (où va rester le stock, sélection de merveilles opérée par les libraires rêveurs) et se clôt par un happy end (mais beaucoup de choses le sont avec eux), leur mariage à Damas, quand l’ambiance était légère, hétéroclite, parfumée aux fumées des chichas, la lumière légèrement verte, huileuse comme un savon d’Alep. Entre, la Chine, le Pakistan, l’Inde, presque l’Iran (la non obtention du visa est voyage en Absurdie), l’Afghanistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaidjan, la Géorgie.
À chaque fois, rencontres, histoires, drôles, touchantes, qu’A&L racontent avec distance. Shootés à l’optimisme, ils digèrent l’emballement premier pour l’exotisme, sélectionnent, comme sûrement les livres de leur stock de Bangkok, et fabriquent une crème de voyage, onctueuse avec grumeaux quand même.
Un vieux Samarcandien fait un étonnant commerce, dévoilant aux curieux (p. 18) un bo’ri empaillé. Dans un train reliant Bombay à Madras, un enfant travaille. Il avait enlevé son maillot, et tout en allant à quatre pattes, torse nu, il poussait devant lui son vêtement qu’il utilisait comme serpillère. Il passait partout, entre les pieds à bagues et à sandales, dans l’allée, sous les sièges raclant avec application la pollution de la foule, poussant les détritus, jusqu’à ce que son maillot trop empêtré et juteux n’essuie plus correctement. (…) Pour passer dans le wagon suivant, il se rhabillait.
Dans le zoo de Kaboul, Marwan le lion est mort en 2005, sourd et aveugle (blessé par grenades dix ans plus tôt, une histoire de fou). Épargné par la guerre, le roi s’éteint de lui-même. Il était si célèbre, il fut si regretté, que les Kaboulis lui érigèrent une statue dans l’allée principale du zoo.
Et les pays. J’ai beaucoup appris sur le Turkménistan. Un président (à vie), nommé Saparmourat Niazov, passé sans encombre en 1991 de la direction de la république socialiste soviétique à celle de l’État fraîchement indépendant, a bâti sa légende comme il a bâti la capitale, Achgabat. Du marbre partout, de l’or pour sa statue. Une ville inventée par Hergé. Et un livre, le Ruhnama, écrit par Niazov lui-même, diffusé dans toutes les écoles, rempli de conseils (se laver les dents, ne pas forcer sur le sucre) et maximes (seule la mort est capable de séparer les frères). Niazov a été remplacé par Berdymouhammedov. Élu à 89% en 2007, il a prêté serment au Coran et au Ruhnama. Tout va bien dans la marbrerie, pourraient conclure A&L.
Et les frontières, qui happent, aller voir après celle-ci, et puis celle-là, principe du voyage, attraction pour le plus lointain. Et celles que les voyageurs sentent en les franchissant. La fin de l’Asie en mer Caspienne. Fini, jusqu’au souvenir des sagesses aux yeux clos ; les brouillards ignorent les mirages d’Inde, les vapeurs chinoises, ou les grésils steppiques de l’Asie centrale. Le flou de l’air au Caucase, est glaiseux, humide, fier, et il sent la soupe. Et la suite est encore belle. Dans l’errance et le flottement du voyage, on guette, on aime ramasser ses sensations, observations, en faire un condensé, trouver des lois, les énoncer avec la liberté du découvreur.
J’ouvre Perec, Espèces d’espaces. Parcourir le monde, le sillonner en tous sens, ce ne sera jamais qu’en connaître quelques rares, quelques arpents [longue liste de lieux] Et avec eux, irréductible, immédiat et tangible, le sentiment de la concrétude du monde : quelque chose de clair, de plus proche de nous : le monde non plus comme un parcours sans cesse à refaire, non pas comme une course sans fin, un défi sans cesse à relever, non pas comme le seul prétexte d’une accumulation désespérante, ni comme l’illusion d’une conquête, mais comme retrouvaille d’un sens, perception d’une écriture terrestre, d’une géographie dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs.
A&L nous le rappellent. Leurs récits font corps avec leurs voyages. Et s’en émancipent. Le vif de leur écriture fait naître des histoires qui auraient pu être inventées. J’attends l’Afrique.
Cités plus haut : Nicolas Bouvier et Thierry Vernet, L’usage du monde, Droz, réédité en 1999 et Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974/2000.
Conseil : allez souvent visiter Sur une île j’emporterais, excursions épatantes…
Partager la publication “Crème de voyage”
L’Ombre des bibliothèques, Coll. Les Billets de la Bibliothèque, Editions La Bibliothèque, 2020.
Lucrèce Luciani, auteur notamment de «L’Acédie » et du «Démon de saint Jérôme », ne lâche pas sa proie ou sa passion des livres avec ce nouvel ouvrage « Trois Biblio-choses » paru aux éditions La Bibliothèque. Avec un titre tout à la fois énigmatique et annonciateur, emprunté à Verlaine en son vers venant clore son célèbre poème Pauca mihi, l’auteur entend poursuivre, toujours et encore, son amour des livres et des bibliothèques. Un univers bien singulier effectivement que celui des livres, le plus souvent à « L’Ombre des bibliothèques », ainsi que le souligne le sous-titre, et qui offre, ici, à l’auteur l’occasion de pages emplies de cette ardeur des livres qui l’anime et lui est si chère.
Lucrèce Luciani entend, ici, s’attacher plus particulièrement aux secrets plus obscurs des bibliothèques, à leur «…face cachée comme souvent ignorée. Il s’agira de se porter en son envers, de creuser son « fonds », de la coulisser, d’atteindre ses bas-fonds, ses réserves, ses catacombes », écrit-elle dès les premières lignes, tel le poète maudit explorant les deux faces de la « chose-livresque », mais avec Lucrèce Luciani, bien sûr, à sa façon ! Le ton est donné, et l’auteur ne s’en départira plus.
S’appuyant sur trois toiles de maître – Magnasco, Arcimboldo et Magritte – données à voir en début d’ouvrage, ce sont des échos, des ondes de choc qui guident ces trois thèmes ou « Trois Biblio-choses » mises ainsi en résonance et que l’auteur poursuit et développe, croisant d’autres maîtres, Le Gréco, Dürer, Blake, etc., ou écrivains et poètes, Borges, bien sûr (comment pouvait-il en être autrement ?), mais aussi Nietzsche, Barthes…
Avec Magnasco et « La Bibliothèque du couvent », Lucrèce Luciani revient à son thème de prédilection, l’acédie. Campant sur son idée de voir dans celle-ci un « vice éminent comme spécifique de la chrétienté. », elle l’étend jusqu’à la toile de Magnasco et aux bibliothèques monastiques en général. Si son approche ne saurait être pour autant partagée par tous, reste que l’auteur en ces pages alertes et débridées, telle une danse folle et macabre, et entrant dans cette fascinante bibliothèque cénobitique peinte par le maître italien, explore les passions tristes…
En deuxième lieu, avec « Le Bibliothécaire » d’Arcimboldo, buste fait tout de livres, l’auteur s’empare d’une autre face obscure, celle du bibliotaphe ; Avouons que nous en connaissons tous au moins un… Cet « enterreur de livres » que surent dénicher les Encyclopédistes et que l’auteur s’empresse de compulser nuit après nuit. Défilent alors entre l’« otium cum litteris », la manie et la folie, entre les bibliophiles, les bibliomanes ou encore les « bibliofols » en tous genres, les battements de cœur, le corps et l’âme des livres, plus vivants que jamais pour Lucrèce Luciani ; Assurément, en ces pages, plus bibliopathe que bibliotaphe !
Enfin, « Trois Biblio-choses » se referme sur « La lectrice soumise » de Magritte, une occasion pour l’auteur, tel un démon déchaîné en enfer, de s’attaquer à la mise à mort des livres ; ce ne sont alors que sombres pierres tombales, sépultures et catacombes qui jonchent les pages. Mais que l’on se rassure, L’auteur, tel un bibliochamane, guérisseuse et ensorceleuse, a plus d’un tour dans son livre…
Des pages, comme toujours avec Lucrèce Luciani, avenantes et alertes emplies de son amour des livres et des bibliothèques, et transmettant au lecteur ces insolites vibrations, ces merveilleuses volutes ou énigmatiques voltes faces qui lui sont si chères. « Spirale, ellipse, illusion et vertige, tout s’enroule et se déroule dans ce tableau (Magnasco) où émergent, çà et là, têtes de doux dingues ou faciès de goules. », écrit-elle. Tout est dit ou presque…
LBK
Imaginez ! Le
narrateur – nommons-le Alexandre, naît à Moscou trois ans après la révolution
d’Octobre de 1917, Lénine est au pouvoir ; D’origine juive, ses parents
émigreront avec ce jeune enfant d’abord à Berlin, puis très vite à Paris… Un
beau début de roman, pensez-vous.
Imaginez maintenant que cette enfance ait été non seulement vécue, mais qu’elle
soit aujourd’hui présente, vivante, à portée d’oreille… Alors, cela devient non
seulement un beau roman, mais une biographie inouïe ! Or, avec ce premier
volume d’une trilogie nommée Le Séjour, ce sont ces souvenirs d’un
autre siècle, pour beaucoup aujourd’hui difficilement imaginables, que nous
livre, en un témoignage émouvant et précieux, Jean Blot, écrivain, essayiste,
grand cosmopolite et surtout amoureux impénitent de littérature et des mots.
Quelques pages suffisent à faire du lecteur le compagnon de jeu de ce garçonnet
curieux, observateur, un brin intrépide, et qui se souvient, quatre-vingt-dix
ans après, savoir parfaitement prononcer le « r » russe. Car
émigrer, c’est aussi et plus encore lorsqu’on a un père poète perdre sa langue
natale ; un abandon suivi de tant d’autres que le jeune Alexandre apprendra
très tôt à cacher derrière une « hypocrisie du bonheur » qui,
écrit-il, ne le quittera plus jamais.
Et effectivement, bien loin de s’apitoyer ou d’être larmoyant, l’auteur joue
avec une lucidité aussi implacable qu’espiègle avec ses souvenirs, sa mémoire
et lui-même. Une enfance marquée du sceau de l’Histoire, inexorable, et qu’il
attrape parfois au vol, questionne et accommode avec tendresse ou
inflexibilité. Paris, la rue Poussin, l’Angleterre et les années de collège…
de jeunes années qui allaient forger le futur écrivain et acteur de la vie
culturelle internationale qu’il deviendra.
Des souvenirs « retrouvés » se voulant – ainsi que l’a
souhaité Jean Blot, moins véridiques qu’authentiques, et mis en forme avec cet
amour inconditionnel du style et de la littérature qui habite l’auteur.
Pouchkine, Mandelstam, Proust y trouvent tout naturellement place. Jean Blot
avoue une affection toute particulière pour le mot même de « Réminiscences ».
Chateaubriand n’écrivit-il pas d’ailleurs avec justesse que « Les plus
belles choses qu’un auteur puisse mettre dans un livre, sont les sentiments qui
lui sont apportés, par réminiscence, des premiers jours de sa jeunesse. »
Et il est vrai qu’en ces pages émouvantes, ce mot prend une sonorité ou couleur
toute particulière à la lecture de ces souvenirs qui imposent de remonter
l’horloge du temps de près d’un siècle. En un savant dosage de confessions, de
pudeur et malice, l’auteur ayant bien trop de respect pour son lecteur, Jean
Blot se souvient et s’affranchit avec allégresse de la grisaille des souvenirs
et des années qui passent.
C’est à une tendre conversation entre l’enfant qu’il fût et l’homme qu’il est
devenu, entre le jeune Alexandre Blokh et l’écrivain consacré et reconnu
aujourd’hui sous le nom de Jean Blot, son nom de résistant, à laquelle est
convié le lecteur. Ses proches, son père admiré, sa mère douce et joyeuse, sa
nounou, ses amis d’enfance n’y reprennent pas seulement place, mais revivent
sous sa plume dans le regard et l’âme de ce garçonnet qui grandit alors que les
heures de l’Histoire sonnent…
« Mais les cloches que j’entends sonner au loin, errer dans le jour
gris comme pour annoncer sa fin – ou la fin – m’assourdissent. Le carillon fait
que je n’entends plus les jours qui le précèdent. Je les retrouverai peut-être.
Mais c’est le deux septembre dix-neuf cent trente-neuf. Et c’est le tocsin.
J’ai seize ans. J’en aurai bientôt… – dans six mois – dix-sept. »,
écrit Jean Blot pour refermer ce premier volume lorsque les ailes du temps
feront brusquement tourner cette page de l’enfance, de son enfance.
L.B.K.
L’écrivain et dessinateur a d’abord marché dans Marseille, sa ville. Avant de se lancer dans une série de portraits de marcheurs, énergumènes venus de tous les horizons et de tous les âges. A la fin du voyage, on se sent moins seul.
Par sa culture joyeusement encyclopédique, son humour pince sans rire, sa modestie, ses facéties et, qualité plus rare, par une certaine bonté d’âme qui transpire à travers chacun de ses personnages, Michéa Jacobi rappelle l’humanisme de Raymond Queneau; son excentricité naturelle le rapprocherait du roman de l’auteur normand, Les Enfants du limon, inspiré des cas les plus originaux de la vie littéraire. Ce discret écrivain protéiforme, comme ses sujets, vaut que l’on s’instruise de sa biographie : natif d’Arles, du faubourg de Trinquetaille, Jacobi, devenu adulte, se transféra à Marseille, où il exerça le métier d’instituteur tout en écrivant des livres et des articles de journaux ; il fonda même une revue qu’il nourrit de ses rubriques et dessins et qui perdura quelques années, Le Midi illustré, devenu une rareté bibliophilique. De ses chroniques « Le Piéton de Marseille » publiées dans Marseille Hebdo, il tira un délicieux volume, Le Piéton chronique. Vies multiples est le sixième volume, après Jouir, Songe à ceux qui songèrent, Renonçants, Xénophiles et Walking Class Heroes, de brèves biographies animées (on y marche, on y exulte, on y bouge, on s’y agite) dont l’inspiration lointaine est l’entreprise littéraire biographique de l’écrivain anglais du XVIIe siècle, John Aubrey, auteur des Vies brèves. Les classes des écoles marseillaises dans lesquelles enseigna Jacobi comptaient en moyenne vingt-six écoliers, comme l’alphabet latin compte vingt-six lettres, et il eut l’idée de composer vingt-six volumes de vingt-six vies, dont l’ensemble a pour titre Humanitatis Elementi, comme un double hommage à l’écriture et aux êtres (le titre original était Tout être).
« Ce sont des personnages que j’aime et que j’admire, nous dit Jacobi, et,
au-delà de la fantaisie dans laquelle ils vivent, il y a leurs mouvements,
leurs gestes, leurs mots que j’essaie de rendre dans ces pages de façon
informative. »
Après avoir voyagé en compagnie de cette foule d’énergumènes venus de tous les
horizons, adeptes ou rénégats de toutes les fois, aristocrates, prélats,
aventuriers, actrices, explorateurs de tous acabits, on a l’impression
d’entrevoir la silhouette anarchisante du phénomène démocratique : Jacobi
ne juge jamais son sujet, il laisse le lecteur libre en refusant de forcer le
mystère.
L’écrivain occitan Max Rouquette, qui admirait le style de Léon Daudet sans
être dupe de ses frasques peu glorieuses, résumait ainsi son sentiment :
« L’homme est un mystère sans fond. »
De l’éditeur Robert Denoël, Liégeois monté à Paris, Jacobi écrit :
« Il milite pour l’Ordre des Éditeurs que veut imposer Pétain. Il parvient
ainsi à faire vivre tout son monde et à publier des livres plus recommandables.
On croit savoir qu’il ne met personnellement la main à aucun acte de
délation. » Et le portrait de l’homme abattu à la Libération se clôt par
un requiescat in pace :
« On n’a jamais trouvé l’assassin de Robert Denoël. Même la balle qui le
tua ne savait pas de quel homme elle trouait la peau. »
De Judas Iscariote, il offre quasiment la rédemption. Si Charles Maurras le
condamne sans appel – « Il fut traître et avare, traître par
avarice » –, Jacobi cite les témoignages plus nuancés d’Augustin, pour qui
le crime pouvait être absous, et de sœur Catherine, qui concédait que
« l’apôtre avait mal compris le message de Jésus ». « Judas
était-il un donneur ordinaire ou l’apôtre désigné par les cieux pour que la
parole divine s’accomplisse ? Un nationaliste égaré dans un groupe
mystique ou un matérialiste borné n’espérant du Royaume promis par son maître
que des bénéfices personnels ? » se demande Jacobi.
La figure de Judas revient dans le portrait de Francisco Quevedo y Villegas
dans une phrase lapidaire du poète espagnol : « Et combien après lui
ont vendu et acheté Jésus ! » Quevedo, qui « eut avec Mahomet
une longue conversation au cours de laquelle le prophète lui expliqua qu’il
avait interdit le vin parce que l’Alcoran était pour ses ouailles une source
suffisante d’ivresse. »
C’est sur une citation du Coran que s’ouvre l’éloge d’Abou Abd Allah Muhammad,
dit Ibn Battuta, voyageur confiant : « Dieu a établi pour vous la
terre comme un tapis afin que vous suiviez des voies spacieuses. »
« Il ne voulait pas que le voyage changeât la moindre chose en lui. Il se
déplaçait pour vérifier que le monde était fixe et que les seules différences
entre ses régions ne consistaient qu’en anecdotes et variations », écrit
Jacobi sur le voyageur tangérois « qui voyagea comme on prie, ou comme on
appelle à la prière ».
Jacobi prouve dans ces narrations qu’il n’y a que le ton, que la voix, qui font
le style de celui qui raconte des histoires et créent à chaque fois une forme
unique. Ses histoires nous rapprochent de nos contemporains, proches ou
lointains dans le temps, tel l’Orrorin
tugenensis, « lointain camarade d’il y a sept millions d’années,
découvert par les paléontologues au Kenya en l’an 2000, qui marchait à peu près
comme nous le faisons ». En fréquentant ces vies multiples, on se sent un
peu moins seul, on prend la mesure du monde et de la vie.