Abattoirs de Chicago, le monde humain I dans le Matricules des anges par Anthony Dufraisse
Dans le numéro 218 de novembre 2020, sur la réédition en poche de Abattoirs de Chicago

Dans le numéro 218 de novembre 2020, sur la réédition en poche de Abattoirs de Chicago
102 p. 8 €, ISBN : 9791093098593
Peut-on dire qu’il existe un miracle de Chicago comme il a existé un miracle grec, Chicago, Athènes de l’industrialisation, tant les techniques, les audaces, l’absence de scrupule, la force illimitée ont toutes les marques d’une réussite industrielle exemplaire ? Ou peut-on plus prudemment tâcher de montrer les conséquences sur l’homme et sur la vie animale ? Ce que nous avons dénommé « le monde humain », l’événement Chicago. D’un village indien au début du XIXe siècle à une métropole d’un million sept cent mille habitants un siècle plus tard… C’est cette histoire que nous allons esquisser, voir le monde humain surgir d’une plaine immense et sauvage, histoire des abattoirs de Chicago, histoire troublante, inquiétante, révélatrice de ce qui nous arrive, nous entoure, nous enveloppe.
collection Capitale, Parutions
7H du soir
Gustave Geffroy / Illustrations de Joaquim Sunyer
Louis-Stéphane Ulysse / Illustrations de Thomas Beulaguet
9H du soir
Jean Lorrain / Illustrations de Théophile-Alexandre Steinlen
Jean-Philippe Domecq / Photos de Jean Philippe Domecq
10H du soir
Joris Karl Huysmans / Illustrations de Charles Jouas
8h du matin
Nadja / Illustrations de Nadja
Présentations : Douban et Conception : Maurice Miettte
Ce premier tome qui présente trois heures de Paris vues en 1900 et en 2020 s’inscrit dans un ambitieux projet de trois tomes et de neuf heures parisiennes.
Tout part des Minutes parisiennes, entreprise de l’éditeur Ollendorff autour de 1900. Écrivains et graveurs devaient dépeindre 24 heures de Paris heure par heure. Il n’y en eut que onze de réalisées.
La Bibliothèque emboîte le pas d’Ollendorff, ajoute textes, dessins et photographies d’aujourd’hui. Paris 1900 et Paris 2020 dialoguent…
Ainsi à 7 h du soir, Louis Stéphane Ulysse et Thomas Beulaguet répondront à Gustave Geffroy et à Joaquim Sunyer ; à 9 h du soir Jean-Philippe Domecq (texte et photos) répondra à Jean Lorrain et à Théophile Alexandre Steinlen ; à 8 h du matin, Nadja (texte et dessins) répondra aux 10 h du soir de Joris Karl Huysmans et à Charles Jouas.
L’alchimie du temps qui passe, de Paris qui change s’effectue sur plus d’un siècle, dans l’esprit du lecteur qui lit successivement une heure ancienne et une heure actuelle. Précipité passionnant de la cité, expérience, rêverie qui se dégage de ces rencontres.
Paris change et ne change pas. À la lecture de ces voyages dans le temps on se posera la question. Les rues, la disposition des immeubles, la grande toile d’araignée… Le Dictionnaire historique des rues de Paris de Jacques Hillairet datant de 1963 aurait pu être aussi bien lu par l’équipe de 1900 que par celle de 2020, à quelques modifications près… Nous verrons que c’est dans la manière de voir, dans les consciences des Parisiens, que Paris change encore davantage.
La phrase et le dessin…
Biographies parisiennes
Jean-Philippe Domecq : romancier, essayiste, aussi passionné par l’art, la politique, la vitesse, il a publié entre autres Robespierre, dernier temps, et plus récemment, Le Jour où le ciel s’en va, Exercices autobiographiques, L’Ame, la mort, le fils. Il vit près de la gare du Nord.
Gustave Geffroy (1855-1926) : À cheval entre le socialisme et la critique d’art, il défendit les impressionnistes et Proust pour son Goncourt, écrivit la grande biographie de Blanqui, L’Enfermé, s’intéressa à la Commune, L’Apprentie, participa à deux heures des Minutes parisiennes et fut l’ami de Monet et de Clémenceau.
Joris-Karl Huysmans (1848-1907) : né à Paris, rue Suger, styliste et esthète, d’abord proche des naturalistes et du cercle de Médan, il découvrira successivement le dandysme avec À Rebours et Des Esseintes, puis la conversion, le Christ avec En Route et L’Oblat. Il fut aussi un étonnant critique d’art.
Charles Jouas (1866-1942) : dessinateur, graveur, né au faubourg Saint-Antoine, rencontre Henri Beraldi qui lui commande une série de dessins sur Paris (les travaux du métro), illustre Huysmans, Henri de Régnier, a une passion pour les Pyrénées et son fonds se trouve au musée pyrénéen de Lourdes et à Carnavalet.
Jean Lorrain (1855- 1906) : écrivain avant tout, décadent, interlope, journaliste, critique, on pourrait lui prêter selon Eric Walbecq le mot de Claudel sur Rodin : « ce gros œil proéminent de luxurieux, il faisait le “morceau”. Il avait le nez sur le modèle et le “morceau”. » On retiendra de lui Monsieur de Phocas, Venise, Le Vice errant et ses Pall mall semaine, qui valent bien Les Lundis de Sainte-Beuve.
Maurice Miette : artiste, féru de pseudonymes, vit à Paris, près du Canal de l’Ourcq, illustrateur de couverture CD, de livres, comme Darwin au bord de l’eau, Il était une demi-fois.
Nadja : Figure de la BD et du livre illustré, artiste, conteuse, elle a publié Chien bleu et plus récemment le cycle des Filles de Montparnasse (tome 1, 2, 3), Ô Cruelle, et Blanche Neige et grise pluie. Née à Alexandrie, elle vit près de Bastille.
Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923) : d’origine suisse, dessinateur, peintre, affichiste, anarchiste et montmartrois de cœur, fréquente le Chat Noir et Toulouse-Lautrec, participe à L’Assiette au beurre et à Gil Blas.
Joaquim Sunyer (1874-1956) : catalan d’origine, vient à Paris au Bateau-Lavoir de Montmartre vers 1900, peintre, graveur, dessinateur, ami de Steinlen et d’Utrillo, illustre Le Soliloque du pauvre de Jehan Rictus, il participe à plusieurs heures des Minutes parisiennes.
Louis –Stéphane Ulysse : écrivain, scénariste, il est l’auteur de Harold, La Fondation Popa, Médium, un jour de pluie et d’un coffret livres, Une histoire du western. Quand il n’est pas à Paris du côté de la porte de Clignancourt ou de Belleville, il vit en Grèce ou non loin d’Étretat.
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Libraires envolés – Bangkok Damas, Anne & Laurent Champs-Massart, illustrations de Véronique Aurégan-Poulain, La Bibliothèque, 2020
Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. Nicolas Bouvier introduit ainsi son Usage du monde et Anne & Laurent Champs-Massart ont voyagé sous ce soleil-là. Entre 2005 et 2018, les deux jeunes amants ont parcouru le monde. Partis avec des livres qu’ils espéraient vendre dans une librairie francophone qu’ils auraient ouverte dans le quartier des ferrailleurs à Bangkok, ils renoncent, et le voyage s’impose. Libraires envolés compte onze récits rapportés d’Asie. À l’ouvrage manque un bandeau portant mention Bouvier aurait adoré.
Le voyage débute à Bangkok (où va rester le stock, sélection de merveilles opérée par les libraires rêveurs) et se clôt par un happy end (mais beaucoup de choses le sont avec eux), leur mariage à Damas, quand l’ambiance était légère, hétéroclite, parfumée aux fumées des chichas, la lumière légèrement verte, huileuse comme un savon d’Alep. Entre, la Chine, le Pakistan, l’Inde, presque l’Iran (la non obtention du visa est voyage en Absurdie), l’Afghanistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaidjan, la Géorgie.
À chaque fois, rencontres, histoires, drôles, touchantes, qu’A&L racontent avec distance. Shootés à l’optimisme, ils digèrent l’emballement premier pour l’exotisme, sélectionnent, comme sûrement les livres de leur stock de Bangkok, et fabriquent une crème de voyage, onctueuse avec grumeaux quand même.
Un vieux Samarcandien fait un étonnant commerce, dévoilant aux curieux (p. 18) un bo’ri empaillé. Dans un train reliant Bombay à Madras, un enfant travaille. Il avait enlevé son maillot, et tout en allant à quatre pattes, torse nu, il poussait devant lui son vêtement qu’il utilisait comme serpillère. Il passait partout, entre les pieds à bagues et à sandales, dans l’allée, sous les sièges raclant avec application la pollution de la foule, poussant les détritus, jusqu’à ce que son maillot trop empêtré et juteux n’essuie plus correctement. (…) Pour passer dans le wagon suivant, il se rhabillait.
Dans le zoo de Kaboul, Marwan le lion est mort en 2005, sourd et aveugle (blessé par grenades dix ans plus tôt, une histoire de fou). Épargné par la guerre, le roi s’éteint de lui-même. Il était si célèbre, il fut si regretté, que les Kaboulis lui érigèrent une statue dans l’allée principale du zoo.
Et les pays. J’ai beaucoup appris sur le Turkménistan. Un président (à vie), nommé Saparmourat Niazov, passé sans encombre en 1991 de la direction de la république socialiste soviétique à celle de l’État fraîchement indépendant, a bâti sa légende comme il a bâti la capitale, Achgabat. Du marbre partout, de l’or pour sa statue. Une ville inventée par Hergé. Et un livre, le Ruhnama, écrit par Niazov lui-même, diffusé dans toutes les écoles, rempli de conseils (se laver les dents, ne pas forcer sur le sucre) et maximes (seule la mort est capable de séparer les frères). Niazov a été remplacé par Berdymouhammedov. Élu à 89% en 2007, il a prêté serment au Coran et au Ruhnama. Tout va bien dans la marbrerie, pourraient conclure A&L.
Et les frontières, qui happent, aller voir après celle-ci, et puis celle-là, principe du voyage, attraction pour le plus lointain. Et celles que les voyageurs sentent en les franchissant. La fin de l’Asie en mer Caspienne. Fini, jusqu’au souvenir des sagesses aux yeux clos ; les brouillards ignorent les mirages d’Inde, les vapeurs chinoises, ou les grésils steppiques de l’Asie centrale. Le flou de l’air au Caucase, est glaiseux, humide, fier, et il sent la soupe. Et la suite est encore belle. Dans l’errance et le flottement du voyage, on guette, on aime ramasser ses sensations, observations, en faire un condensé, trouver des lois, les énoncer avec la liberté du découvreur.
J’ouvre Perec, Espèces d’espaces. Parcourir le monde, le sillonner en tous sens, ce ne sera jamais qu’en connaître quelques rares, quelques arpents [longue liste de lieux] Et avec eux, irréductible, immédiat et tangible, le sentiment de la concrétude du monde : quelque chose de clair, de plus proche de nous : le monde non plus comme un parcours sans cesse à refaire, non pas comme une course sans fin, un défi sans cesse à relever, non pas comme le seul prétexte d’une accumulation désespérante, ni comme l’illusion d’une conquête, mais comme retrouvaille d’un sens, perception d’une écriture terrestre, d’une géographie dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs.
A&L nous le rappellent. Leurs récits font corps avec leurs voyages. Et s’en émancipent. Le vif de leur écriture fait naître des histoires qui auraient pu être inventées. J’attends l’Afrique.
Cités plus haut : Nicolas Bouvier et Thierry Vernet, L’usage du monde, Droz, réédité en 1999 et Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974/2000.
Conseil : allez souvent visiter Sur une île j’emporterais, excursions épatantes…
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Événements, L'écrivain voyageur, Les Éditions, Parutions
Tout commence à Bangkok, avec l’idée d’y ouvrir une librairie francophone dans le quartier des ferrailleurs. L’affaire tourne court et les libraires, munis d’un chien aveugle et d’un stock de livres qu’il faudra bien mettre quelque part, se retrouvent libres face aux routes d’Asie.
Anne & Laurent Champs-Massart ont voyagé sans interruption durant 13 ans à travers le monde. Libraires Envolés est le volet consacré à l’Asie.
Tout commence à Bangkok, avec l’idée d’y ouvrir une librairie francophone dans le quartier des ferrailleurs. L’affaire tourne court et les libraires, munis d’un chien aveugle et d’un stock de livres qu’il faudra bien mettre quelque part, se retrouvent libres face aux routes d’Asie.
Anne & Laurent Champs-Massart ont voyagé sans interruption durant 13 ans à travers le monde. Libraires Envolés est le volet consacré à l’Asie.
Plutôt la lenteur de L’Usage du monde que la hâte du Tour du monde en quatre-vingts jours, de Bangkok à Damas en passant par Xi An, Islamabad, Kaboul, Samarkand, nos héros cheminent au gré des réalités du terrain et de l’administration ; ils vont de l’avant, s’encalminent, franchissent des cols et des villes organiques, contractent des amitiés animales et trouventdes bombes. Entre gifle et magie, ils croisent des charognes, d’autres voyageurs éperdus, des femmes et des hommes, parfois des hommes-femmes, des lions lapidés, des présidents en or et des champions de lutte reconvertis dans les concours de chants d’oiseaux. Chants d’oiseaux, c’est aussi un peu leur langue, celle voluptueuse, orientale, souvent au diapason des chemins parcourus, une autre surprise heureuse de ce récit.
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